C’est fou comme le choix des mots que l’on fait pour s’exprimer influence la vision et la compréhension que notre co-locuteur va avoir de notre discours.

J’ai toujours du mal à parler oralement de la mort de S. Et de dire les mots que je viens d’écrire. Cela dépend aussi de la personne que j’aurais face à moi, du degré d’intimité et de confiance. De ce que j’accepte de mettre à nu face à cette personne. Et aussi un peu, je suppose, de se protéger face à la pitié et l’inconfort qu’on a pas envie d’inspirer à des inconnus.

Face au coach de la salle de sport, j’elude la raison de pourquoi j’étais en arrêt maladie mais que j’avais le droit de sortir et d’aller au sport, pourquoi j’avais résilié mon abonnement , pourquoi je n’avais pas été à la salle pendant 5 mois, et tout d’un coup je revenais et me réengageait. En même temps la salle de sport c’est mon exutoire, alors pas non plus envie de ramener en force mes malheurs. J’y vais justement pour me vider la tête.

Ma médecin traitant et mon endocrinologue (et ma psy bien-sûr) – elles je leur fait confiance. Alors j’arrive à dire les vrais mots, et dévoiler un peu plus ma souffrance.

Et puis il y a la médecin du travail, que j’ai enfin vu suite à ma reprise du travail. Je ne l’ai vu que 2x auparavant, elle est assez bizarre, puis comme dit il n’y a pas vraiment ce lien de vraie confiance/confidence qui s’est créé. Alors forcément, quand elle demande pourquoi j’étais en arrêt maladie, il faut bien le dire. Mais je choisis ces mots, que j’ai déjà prononcé face à une infirmière pour une prise de sang, ces termes cliniques mais qui me semblent bien froids et loin de la réalisaté : « j’ai fait une fausse couche tardive à 21 SA ».

Cliniquement c’est bien le cas, de 15 à 22SA (et donc à 5jours près…), on parle de fausse couche tardive.

Mais je trouve que ces termes minimisent la violence du vécu, l’attachement qu’on avait pour notre fils, le trou béant qui règne dans notre cœur.

Et cela impacte notre locuteur. Elle m’a tenu le même discours que pour une fausse couche précoce, et beaucoup minimisé le vécu, le temps de deuil à faire. J’ai précisé qu’on était passé par une FIV pour qu’elle se rende compte que « vous êtes jeunes, vous avez qu’à recommencer, c’est son expérience qui lui démontre ça » c’était une discours de merde. Mais bon après c’était « ça a marché une fois, ça remarchera, puis vous êtes jeunes ». Ça me fait rire jaune ces médecins qui essayent de nous remonter le moral avec des RALCs… Mais laissez nous vivre notre deuil !

Je me rend compte que si j’avais réussi à dire « mon bébé est mort à 21 semaines », elle aurait probablement eu une vision différente, il y aura eu moins de détachement de ma part (détachement qui m’aide juste à ne pas craquer). Alors il va falloir que j’arrive à dire ces mots quand c’est nécessaire. Que j’ose me dévoiler, exposer mes blessures, un peu plus facilement.

15 réflexions sur “Le poids des mots/maux

  1. On m’a sorti «ça ne changera rien à votre fertilité». Hormis le processus de deuil souvent grandement minimisé. Ils ne savent pas à quel point un parcours FIV peut être compliqué. Cette peur viscérale de se dire que cette chance qu’on a eu ne se représentera peut-être pas.

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    1. C’est ça, ils ne se rendent pas compte de la réalité, et on a pas forcément la force de leur expliquer tout ça.
      Heureusement pour moi ce n’est pas la majorité des gens que je côtoie. Mais c’est douloureux quand ça arrive

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  2. Le choix des mots est très important oui, mais ne vous en voulez pas lorsque ce ne sont pas « les bons » qui sortent. Effectivement ils influent sur la réaction de la personne en face mais on fait en fonction de nos moyens, à l’instant T…
    Le combo (perdant) Pma+deuil périnatal est difficile à comprendre pour ceux qui (heureusement pour eux) ne l’ont pas vécu. Et en disant cela je ne minimise en rien le deuil périnatal d’enfants « naturels » !
    Le choix des mots des personnes en face devraient lui aussi être plus contrôlé, mesuré, ils ne se rendent pas compte, pensant bien faire… Alors parfois, mieux vaut sourire, fermer ses oreilles, vous savez ce qu’il en est réellement, et d’autres comprendront et soutiendront…

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    1. C’est vrai, je ne devrais pas m’en vouloir, mais forcément je me dis que je me serais peut-être évité un peu de peine, je me sens responsable de ça en ayant pas réussit à dire les bons mots.

      Pourtant effectivement rien ne me dit qu’avec les bons mots de ma part elle n’aurait pas non plus dit des choses difficiles à entendre (parce que bon, quand elle parlait de fausse couche elle minimisait beaucoup, c’était assez choquant).
      Parfois j’ose répondre et expliquer (avec l’entourage surtout, le combat vaut la peine dira-t’on), mais c’est vrai qu’avec d’autres personnes mieux vaut laisser courir même si ça blesse sur le moment.

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  3. Il est parfois plus facile d’éviter un sujet que d’avoir à dérouler le fil de votre histoire… Tu n’as aucun compte à rendre à personne… tu te protèges simplement en choisissant tes mots
    Parles en aux personnes qui peuvent te comprendre et évites celles qui te blesse, te confronter à leurs remarques ne t’apportera rien…
    Tu es mère, ton fils est au ciel, mais il existe à travers vos pensées, qu’il soit parti 5 jours trop tôt pour pouvoir exister aux yeux des autres est injuste, mais la seule chose qui compte c’est la place qu’il a dans vos cœurs ❤
    et nous toutes on pense fort à votre petit S. <3<3<3

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  4. Les mots sont importants, à dire ou à entendre. À mon sens il faut appeler un chat un chat, mais évidemment c’est tellement dur à mettre en pratique !
    Je te souhaite plein de courage pour réussir à trouver le bon compromis, celui qui ne te fait pas craquer mais qui exprime quand même la réalité de ton ressenti

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  5. Ah les perles de la médecine du travail … moi on m’a dit que si je n’arrivais pas à avoir d’enfants c’était dans ma tête! J’aurais du lui envoyer mon compte rendu d’hystérectomie voir si c’était toujours dans ma tête!
    C’est vrai que les mots sont importants… combien de fois j’ai frémi devant les comptes rendus des médecins qui ont écrit “castration” et bien d’autres mots aussi durs…
    Bien sûr il est important d’arriver à verbaliser ce que tu as vécu mais tu es libre de le faire avec qui tu veux, quand tu veux … tu ne dois rien à personne et hélas oui les gens sont parfois très maladroits, ramènent les choses à eux le plus souvent ou font ressortir leurs propres angoisses… pas toujours évident d’esquiver ! Courage! Je t’embrasse fort 😘

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    1. Merci pour ton message.
      Après réflexion, même avec les « bon » mots de ma part, je ne suis pas sûr qu’elle n’aurait tout de même pas sorti pleins de RALCs, vu qu’elle a l’air bien gratinée quand même.

      Oui ils ne se rendent vraiment pas compte. J’espère que la nouvelle génération de médecin est un peu plus formée à l’empathie (j’ai l’impression que c’est le cas par expérience, c’est déjà ça)

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  6. Moi aussi j’ai du mal à trouver les mots justes à propos de la mort de ma fille.
    Dire « je l’ai perdue » me parait mensonger car nous avons pris la décision d’interrompre la grossesse.
    Dire « j’ai perdu un bébé » me parait trop général, trop banal. Ça n’était pas qu’un bébé, c était bien plus que ça et ça l’est encore.
    Dire « ma fille est morte » les gens s’imaginent qu’elle a vécu, donc la encore ça me parait mensonger, mais après tout elle a vécu sa petite vie dans mon ventre alors je le dis quand même … avec une coulis tremblante.
    J’ai perdu ma fille aînée point, même si c était notre décision, même si elle n’a vécu que dans mon ventre. Même si ça peut faire penser à autre chose, et qu on ne vienne surtout pas me dire « ahhh mais elle n est pas née » parce que si elle est née, sans vie, mais elle compte tout autant que les autres

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  7. J’ai entendu la chanson « Pas de mots » de Lynda Lemay, elle a résonné particulièrement suite à ton article. Les mots peuvent exprimer tellement de choses, et c’est parfois bien difficile de les choisir surtout quand on vit des choses douloureuses et intimes. Je commence enfin à pouvoir parler plus « librement » de notre infertilité depuis que notre Miracle est là, avant c’était juste trop dur.
    Je comprends ton besoin de te protéger, même si ça peut donner l’impression que tu minimises son importance au fond il n’en est rien, votre fils a existé, personne ne peut le savoir mieux que vous. Des pensées et des bisous de soutien 💜💜💜

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    1. Avec la grossesse on a aussi beaucoup brisé le tabou de la PMA. A part mes collègues je crois que tout le monde est au courant. Ca nous évitait des RALCs d’informer les gens que ça avait été un combat. Et vu ce qui s’est passé par la suite c’est pas plus mal d’en avoir parlé, car ils comprennent un peu plus la hauteur de notre douleur face à ce drame.

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