Il y a beaucoup de choses que j’ai gardé pour moi, même si au fil des mois je me suis suivant exprimé ici. Certaines choses ont d’ailleurs pu transparaître. Le temps du choc est désormais bien derrière, alors je ressens le courage de vous parler de tout cela, de me mettre à nue. Pour celles qui passeraient par ici car elles traversent la même épreuves, qui se reconnaîtrons peut-être dans ces mots. Et pour les autres qui auront le courage de le lire, de comprendre un peu mieux ce qu’on traverse par moment.
Je vais surtout vous raconter mon vécu dans les semaines qui ont suivies la perte de S. C’est une sorte de retour en arrière sur pleins de petits événements, difficultés, passages, etc… de cette période-là. D’aspects divers dont on ne parle par forcément en général. Ce sera un peu décousu.
Une fois rentrée de l’hôpital, j’ai été incapable de prendre une douche pendant plus d’une semaine. C’était uniquement en mode « toilette de chat » pour ne pas risquer d’infection gynécologique. C’était une torture de me changer, de me déshabiller, et je n’ai mis que des joggings et t-shirts informes (ceux de mon mari enfait) pendant plus d’un mois.
Puis quand j’ai réussi à prendre une douche, j’étais incapable de toucher mon ventre. Il m’a encore fallut plusieurs jours voir semaine pour y arriver, dans les larmes à chaque fois. J’ai aussi eu beaucoup de mal avec ma poitrine. J’avais pris 2 tailles avec la grossesse, ma poitrine était extrêmement lourde et dense (j’étais passée au 100F…). Tout cela a disparut en une journée, c’était très difficile à accepter. De plus, mon corps a gardé des traces de cette grossesse : mon ventre est moins ferme, ma poitrine plus tombante … encore plus difficile à accepter quand on subit ces changements alors qu’on aura même pas d’enfant vivant.
Si entre le moment où j’ai appris la mort de S. et l’accouchement j’ai très peu mangé (le strict nécessaire pour ne pas m’évanouir), une fois l’accouchement passé, à ma propre surprise j’ai mangé l’intégralité de tout ce que m’apportait à l’hôpital. J’étais affamée – je pense que mon corps était à bout et avait besoin de forces (et étonnamment la nourriture d’hôpital en Finlande était bonne) – d’ailleurs je culpabilisais d’avoir envie de manger, mais c’était une sensation vraiment physiologique.
Pendant plus d’un mois, j’étais incapable de quitter mon mari. On faisait des crises d’angoisses quand on était pas ensemble dans le même lieu. (On pouvait être dans une pièce différente tout de même). Par la suite les crises d’angoisses ont continué. C’était le sentiment d’imminence d’une catastrophe. Dès que j’étais dans la rue par exemple, je me disais qu’une voiture allait me renverser, que j’allais chuter à vélo, etc… Si mon mari n’était pas là pile à l’heure je me disais qu’il s’était passé quelque chose. J’étais convaincu qu’on allait diagnostiquer une maladie horrible à l’un de nous deux et qu’un de nous allait mourir, etc… Vous imaginez le genre. Ça s’est calmé depuis, mais je suis tout de même beaucoup plus angoissée qu’auparavant, car cette impression que rien ne se passe jamais bien ne s’arrête jamais dans notre vie, et la vie ne cesse de nous en donner des confirmations régulières.
Au début on était incapable d’être seuls, de nous occuper de nous même, alors on a demandé à nos familles de venir. Ma belle-mère a passé une semaine chez nous, à tout faire (sinon je crois qu’on aurait pas mangé). Puis nos parents et nos frères et sœurs se sont relayés encore les deux semaines suivantes pour qu’on ne soit jamais seuls un jour entier (je précise qu’ils habitent tous à environ 1h15 de chez nous). Ensuite ça s’est espacé. Au bout d’un mois environ par contre ça a été le contraire, on a eu besoin de retrouver notre intimité, d’être « seuls à 2 » et au contraire on a passé beaucoup moins de temps avec la famille. On leur a donc demandé de nous laisser plus d’espace. Mais ils nous appelaient très régulièrement.
Actuellement j’ai toujours beaucoup de mal d’assister à des événements avec beaucoup de monde, des fêtes, des grands repas. Je les fuis, je ne fête aucun anniversaire si ce n’est pas en groupe très restreint. Le mariage de ma sœur en août va d’ailleurs être une épreuve à laquelle je ne peux échapper (je suis témoin…). Nous fuyons aussi les enfants. J’ai revu mon neveu de 7 ans pour la 1e fois il y’a moins d’un mois, car c’est la 1e fois que je m’en sentais capable.
La sexualité après la mort d’un enfant in-utero – on parle étrangement très peu. Pourtant, on peut bien imaginer que ça va être complexe. Entre notre propre rapport au corps et celui de notre mari… Quand on arrive même pas à se regarder soi-même nue dans le miroir, vous imaginez qu’on a pas envie que notre mari nous regarde, de voir sa tristesse face à ce corps à nouveau changé. On ne supporte pas tous les deux de toucher ce ventre. Ensuite il faut accepter d’avoir du désir et de prendre du plaisir, ce n’est déjà pas simple. A cela s’ajoute les pensées plus sombres, surtout avant la « première » fois d’après la mort. Où l’on se dit « la dernière chose qui est passé par mon vagin, c’est mon fils mort ». Où l’on repense aux dernières fois si tendres, quand tout allait bien. Forcément on a plein de flash-back de ces moments, difficile de se concentrer sur l’instant présent. Je ne me souviens plus exactement combien de temps on a mis pour se retrouver. Je dirais environ 1 mois. On en parlait ensemble du fait qu’on appréhendait. Même si ça s’est fait très naturellement au final.
Le paradoxe c’est que parfois le corps a envie (notamment avec la baisse de la progestérone – ma libido et les sensations étaient au plus bas pendant la grossesse à cause de celle-ci qui était haute, alors quand les taux sont redevenus normaux, mon corps était au taquet) mais notre esprit ne veut pas, et il faut l’écouter. Au final on va aussi rechercher des choses différentes dans ces rapports, plus de douceur, de connexion, de tendresse, que de la jouissance.
On a mis de long mois pour retrouver une sexualité épanouissante (qui l’est d’ailleurs plus qu’avant, car la PMA avait déjà bien tout bousillé), et on ne va pas se mentir il a fallut y travailler activement pour réussir à la réinventer (article protégé publié à ce sujet en décembre, pour celles qui ne l’avaient pas lu, vous pouvez me demander le mot de passe par mail, comme toujours). Cette reconnexion est aussi passée aussi par une phase de plaisirs solitaires, pour réussir à se réapproprier et ré-apprivoiser son corps.
On passe aux côtés les plus sombres (et je finirais sur une touche plus « positive).
Les pensées suicidaires – j’imagine que tout parent endeuillé en a. Quand on apprend que son enfant est mort et qu’on va devoir accoucher, c’est un miracle en soit de ne pas se foutre en l’air quand on est tout seul pour affronter cette horreur. Ces pensées s’estompent dans le temps. Au début, face à la douleur, elles sont omniprésentes. On veut cesser d’avoir mal, on se rend compte que cette douleur ne cessera jamais vraiment, or on ne veut pas supporter autant de douleur toute sa vie. On s’en sent incapable. Je crois que pendant les premières semaines, la seule chose qui m’a fait tenir, c’était de ne pas vouloir infliger ça à mon mari – et vice-versa. Si l’un de nous avait verbalisé l’idée d’un suicide commun pour contourner la problématique… Mais l’instinct de survie probablement nous a empêché de donner l’idée à voix haute.
Ces pensées s’estompent dans le temps, s’espacent, mais ce serait vous mentir de dire que les jours noirs je n’en ai pas. Car c’est usant de vivre ces épreuves. Même si je vous rassure, avoir ces idées ne veut pas du tout dire qu’on est prêt de passer à l’acte. C’est juste une fulgurance dans l’esprit qui dit « ce serait tellement plus facile »; puis on se rappelle qu’on a toujours l’espoir de bonheurs à venir et on se raccroche à la perspective de jours plus heureux pour avancer malgré la douleur. Et en parallèle on arrive à vivre des vrais moment de bonheurs, il y a des jours où on arrive à être pleinement heureux.
Quand on lit des blogs ou des comptes insta qui parlent de deuil périnatal, je lis tellement souvent « la rencontre a été un moment magique, je garde un très beau souvenir de mon accouchement malgré le contexte, les moments passés avec mon bébé dans mes bras reste un de mes plus beaux souvenirs malgré tout ». Je lis ça tellement souvent que j’ai l’impression d’être un OVNI. Pourtant je ne pense pas être la seule qui n’a PAS DU TOUT VÉCU CA. Tant mieux pour toutes ces personne, mais qu’on soit clair, mon accouchement c’est le pire moment de toute ma vie, même pire que l’annonce de la mort. C’est un traumatisme horrible qui m’a hanté des jours et des nuits. Cela fait très peu de temps que quand j’y pense je ne suis plus totalement plongée dans le trauma. Et non, quand j’ai « rencontré » mon fils mort c’était horriblement dur. On a été incapable de le prendre dans nos bras, au début on l’a regardé seulement furtivement. Puis quelques minutes après on a réussi à le regarder un peu plus (mais ça n’a pas duré très longtemps tellement c’était dur). J’ai juste réussi à poser ma main sur la couverture qui l’entourait pour lui dire au revoir et l’appeler par son prénom pour une unique fois. Alors oui maintenant avec le recul, je me dis que j’aurais du le prendre dans mes bras, le regarder plus longtemps, pour que son image précise s’efface moins rapidement de ma mémoire. Mais bon, on a fait du mieux qu’on pouvait dans cette situation, on était incapable de plus, alors les regrets cela ne sert à rien. Ce n’était pas un moment « doux » à vivre, pas pour nous, et ces images ont aussi été très longtemps traumatiques.
J’aborde maintenant la partie probablement la plus difficile à oser partager, car la culpabilité n’est pas très loin quand on a ces pensées. Idem, les gens ne partagent que le positifs j’ai l’impression, alors celles qui ressentent des choses moins « avouables » gardent cela pour elles. Je lis souvent « Malgré la peine d’avoir perdu mon enfant, je ne regrette rien, et si je devais recommencer en sachant la fin, et bien je le ferais quand même pour ces précieux moments vécut avec lui« . Et bien non, je ne vis pas les choses comme cela. J’aime mon fils de tout mon cœur, il me manque à en crever et je ne pense pas me remettre un jour totalement de cette perte. MAIS sachant le dénouement, si c’était à refaire, et bien non je ne le referai pas. Oui, j’aurai préféré que cette grossesse n’ait jamais eu lieu. Ces quelques mois dans mon ventre ne valent pas la peine immense qui en découle maintenant à l’infini. Voilà, c’est extrêmement difficile d’écrire ça, mais je suis persuadée que d’autres personnes le vivent aussi comme cela. Et ce n’est pas grave, ce n’est pas une trahison, et de toute façon on ne refera pas le passé, alors notre enfant sera de toute les manière à jamais dans notre cœur. On a le droit de penser cela, c’est humain face à la peine qui nous accable, cela ne veut pas dire pour autant que l’on aime pas notre enfant, bien au contraire.
Je finirai par un partage plus positif. Il y a aussi des choses qui m’ont fait du bien, des pistes qui peuvent aider celles qui traversent cette épreuve depuis peu. Je les ai probablement un peu évoqué au fil de l’eau.
Le sport a été une vraie bouée de sauvetage – à la maison d’abord, car il me permettait d’évacuer ma peine, en général je craquais et pleurais des torrents, puis continuait ma séance de vélo elliptique (tout en pleurant), et ça me faisait un bien fou. Puis on s’est acheté un punching-ball, pour évacuer notre colère. C’est génial de pouvoir taper sur quelque chose, ça fait un bien fou, et ça aide à décolérer. Je l’utilise encore maintenant les jours où ça ne va pas. C’est un petit investissement qui en vaut vraiment la peine, je vous recommande à toutes, même celles « juste » en PMA, d’y avoir recours.
J’ai aussi eu un grand besoin de nature, de choses simples pour me sentir vivante. Marcher sous la pluie. Sentir le vent sur mon visage. Ecouter les oiseaux. Regarder les papillons. Admirer un lac ou la mer. Passer des heures blottis l’un contre l’autre avec mon mari. Marcher en forêt main dans la main. Prendre de grandes inspirations d’air frais. Vivre une vie plus lente.
Voir un psy, en couple et seule. C’est absolument nécessaire je pense. Ne rester pas seule chez vous, ne garder pas tout ça. Bien-sûr c’est vraiment très bien de ne pas faire un tabou de cet enfant, de parler de vos émotions à votre entourage. Mais il y ‘a certaines choses que vous n’oserez pas aborder, ou vous en aurez marre de lire leur pitié, leur tristesse. Nous avons été voir la psychologue qui est dans notre centre PMA/maternité, dès qu’on est revenu en France (donc 3 jours après), qui connaissait bien le deuil périnatal. Elle nous a parlé de plusieurs associations, elle organisait des groupes de paroles ; elle nous a aussi mis en contact avec d’autres personnes de l’hôpital pour nous aider dans nos démarches qui était compliquées (sage-femme qui nous a aidé pour l’Etat-Civil et nous a décroché une aide financière pour en partie financer les 1000€ pour rapatrier l’urne; mise en lien avec une ostéopathe pour « remettre mon corps en ordre »). Elle a donc été d’une aide précieuse sur plusieurs aspects.
Nous avions donc des sessions de 1h en couple, 1x/semaine pendant 2 mois. Et c’était vraiment une bonne chose, car ça nous aidait à exprimer notre ressenti, à dire toutes nos émotions à l’autre avec une personne extérieur pour nous aider. A parler aussi de nos peurs vis à vis de notre couple (mon mari était terrifié que le deuil nous sépare, il avait peur de me perdre aussi). Bref consulter en couple nous a fait beaucoup de bien pour garder la communication, comprendre l’autre, mais savoir qu’on avait un moment spécifique pour parler de ça ensemble.
On est aussi allé tous les deux consulter de notre côté les psychiatres qu’on avait déjà vu quand ça n’allait pas en PMA. Au début j’y allais 1x/semaine, et ça ne me semblait pas assez. Au bout de 6 mois j’ai espacé à 1x toutes les 2 semaines. Récemment c’est plutôt 1x/mois, sauf avec la reprise de la PMA où son soutient était plus que nécessaire vu comme j’étais angoissée. Avec le Covid-19, je ne l’ai malheureusement plus vu depuis mars (et ça me pèse par moment).
Plus globalement, j’aurais deux comptes intagram à vous conseiller. Le premier est un compte qui m’a beaucoup aidé ces derniers mois.
Le compte instagram à découvrir absolument, que vous même ou un proche soyez endeuillé par la perte d’un enfant, ou tout simplement que vous vouliez un peu mieux comprendre ce que ces parents vivent : @a_nos_etoiles
Et celui d’une illustratrice qui fait énormément pour le travail de mémoire des parents endeuillés : @korriganne.illustration
Voilà, un article bien long, par forcément évident à lire je m’en doute bien – mais cela me tenais à cœur de partager toutes ces petites choses dont il est difficile de parler autrement.
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