Jean-Christophe

Cela fait déjà quelques temps que cette rencontre me trotte dans la tête, alors je me décide enfin à la partager avec vous.

C’était l’hiver dernier, peu de temps avant ma reprise au travail. J’avais pris l’habitude d’aller dans la petite ville d’à côté faire mon marché le vendredi matin, H. emmitouflé tout contre moi en portage.

Un bébé tout mignon blotti contre sa maman, ça fait tourner les têtes, jamais autant de gens m’ont parlé, pour le complimenter ! Les bébés ça tisse du lien instantanément.

Et puis alors que j’attend a un stand bien plein, une dame d’environ 70 ans, que j’avais déjà croisé, probablement psychotique, qui vient parler avec tout le monde car surtout elle semble venir au marché pour surmonter une grande solitude.

Elle m’aborde pour complimenter H, et me raconte qu’elle adore les bébés, elle a travaillé dans une nurserie en maternité pendant longtemps. Elle me raconte pleins de choses, me demande aussi d’où je viens, commente mon voisinage car elle semble connaître tout le monde.

Et puis, on en revient aux bébés. Et là elle me dit au détour d’une phrase , plus ou moins ces mots, la voix empreinte d’émotion :

Vous savez, moi aussi j’ai eu un bébé. Mais il a quitté mon ventre à 5 mois de grossesse. Peut-être que mon corps était trop nul, il n’a pas su garder mon bébé. C’était un garçon. Si j’avais pu lui donner un prénom il se serait appelé Jean-Christophe. Je n’ai même pas eu le droit de le voir. On nous disait que c’était mieux ainsi. Mais moi j’aurais voulu le serrer dans mes bras. Vous savez, je pense tous les jours à lui malgré les années.

Vous imaginez bien mon émotion face à cette histoire qui résonnait en moi. Et je m’en veux, car j’étais tellement émue que je n’ai pas réussi à lui dire « je vous comprends, j’ai vécu une histoire similaire à la vôtre, à 5 mois, et je n’ai jamais su ce qui m’avait enlevé mon premier bébé ».

J’ai aussi été en colère contre ces gens de l’époque, qui essayaient d’effacer le bébé, en interdisant aux parents de le voir, et cette non-possibilité de les nommer alors que le prénom était déjà choisi. Et attristé de la culpabilité de cette femme vis à vis de son corps tant d’années après – personne n’a cherché à savoir pourquoi son enfant était décédé dans son ventre.

Nous avons tout de même fait du chemin dans la reconnaissance du deuil périnatal ces dernières années, même si la société essaye toujours d’éviter ce sujet douloureux .

Et surtout cette dame a répondu à une question dont la réponse me semblait probable : on oublie jamais nos enfants décédés trop tôt, ils resteront à jamais dans nos pensées. On apprendra à vivre avec cette douleur sourde et ce manque viscéral, animal, de notre enfant. Mais on ne les oubliera jamais.

Alors je dédie cet article à Jean-Christophe et tous ces bébés tant aimés mais partis trop tôt, qui n’ont pas pu être nommés par leurs parents. On ne vous oublie pas ❤️